Portraits

Patrick Bézier – Un homme d’engagements

Entretien avec Mylène Vignon

Patrick Bézier, votre carrière a été intense en activités, avez-vous toujours été proche de la culture ?

Radio France, Radio Monte-Carlo, La Cinq, le Groupement des Institutions Sociales du Spectacle – le GRISS -, Audiens en 2003, et Audiens Care depuis 2018, l’institution qui porte l’offre de soins et de prévention du Pôle santé Bergère : mon parcours professionnel est, en effet, exclusivement dédié au service de la culture, au service de tous ces professionnels qui mettent leur talent, leur industrie et leur énergie au service de la création et de l’information.

Un parcours professionnel est souvent affaire de convictions, de passions également, comme celle qui m’unit avec la culture, la musique classique ou le chant lyrique. Mais il n’échappe pas au hasard, à des opportunités ou des rencontres inattendues, qui bouleversent les plans établis, façonnent une carrière, si ce n’est notre propre destinée. La genèse du Pôle santé Bergère s’inspire de ces leçons, d’intuitions partagées avec le corps médical et des professionnels de la culture. L’organisation du travail évolue, la pénibilité change de visage avec la révolution numérique, le bien-être et la santé eux-mêmes deviennent des exigences consubstantielles à l’exercice d’un métier : ces phénomènes nous ont obligé, dessinant l’urgence de l’innovation, de l’excellence médicale et de la prévention telles que les incarne aujourd’hui le Pôle.

Quelques mots de votre enfance

Je suis né dans les forêts de l’Aube. J’estime mon enfance heureuse tant la nature est un privilège. Et j’en garde un goût certain pour ces lieux paisibles où l’esprit se détache des contingences et de l’urgence, où l’imagination vagabonde et se grise à l’ombre d’un arbre. De l’enfance, je me souviens d’une passion insatiable pour la musique classique. Je la comblais en écoutant secrètement la radio, à l’insu de parents préférant la variété française. Je rêvais alors de devenir chef d’orchestre, une aspiration vite dissuadée, je l’avoue, par mes premiers cours de musique !

Je me souviens également de l’insouciance des études, des débats sans fin, des affinités littéraires et philosophiques – les stoïciens, Spinoza, Kant, Hannah Arendt -, de mon intérêt pour la chose publique, la sociologie et le politique.

Comment a débuté votre parcours professionnel ?

Après avoir obtenu mon diplôme de droit et de sciences politiques, j’ai eu l’opportunité, en 1980, d’intégrer le groupe Radio France en charge de la réglementation des personnels. Puis j’ai rejoint le regretté Hervé Bourges à Radio Monte-Carlo en 1988, comme Directeur administratif et des ressources humaines. Un mentor, qui m’a inoculé le désir d’entreprendre. Il m’a appris qu’oser, c’est croire en soi, c’est passer à l’action, expérimenter, se réinventer. C’est aussi poser des limites et accepter l’échec, car l’ambition ne dédouane pas du bon sens. J’ai ensuite rejoint La Cinq en 1991 à la fonction de Directeur des relations humaines. De cette expérience, me reste le souvenir de ma rencontre avec Robert Hersant, un homme de liberté, d’audace.

Débute ensuite l’expérience sociale avec le GRISS, Audiens en 2003 et, aujourd’hui, Audiens Care, toujours au service de la culture, pour ne pas dire de l’intérêt général.

Vous avez été nommé Directeur général d’Audiens en 2003. Parlez-nous de cette expérience !

Audiens est né en 2003 de la volonté des partenaires sociaux d’étendre l’expérience que nous avions menée à bien au sein du Griss à l’ensemble du monde culturel. Cette belle aventure, humaine, sociale, économique, peut nous investir d’une certaine fierté. Il nous a fallu près de 7 ans pour fusionner les groupes de protection sociale de la culture. 15 ans plus tard, le groupe est naturellement devenu la maison qui rassemble tous les talents, le foyer de la famille culturelle. Il s’est institué comme le référent social de la culture, le RH de la profession, fort d’une offre de services unique. Et s’est appuyé pour cela sur la qualité du dialogue social en vigueur dans le secteur, un paritarisme de gestion apaisé et progressiste.

S’il fallait résumer la raison d’être fondamentale d’Audiens, je dirais que le groupe a toujours œuvré à humaniser la relation avec ses adhérents, sécuriser les parcours professionnels, simplifier le service, accompagner le changement. Cette vocation s’est concrétisée par la conception d’une offre adaptée aux spécificités de la profession, pour les artistes et techniciens du spectacle, les journalistes rémunérés à la pige par exemple. Ces métiers qui ont leurs contraintes et exigent une expertise sur mesure, une proximité de tous les instants.

Fidèle à cette inclinaison, nous avons écrit un nouveau chapitre de notre histoire avec le Pôle santé Bergère. La solidarité y reste une valeur cardinale. Mais elle emprunte une nouvelle définition avec Audiens Care. « Care » en anglais, c’est, vous le savez, « prendre soin ». Et assurer les personnes, les protéger comme Audiens le fait au quotidien, c’est préserver, d’une certaine manière, leur capital santé.

Justement, pouvez-vous nous présenter le Pôle santé Bergère et Audiens Care ?

Le Pôle santé Bergère a ouvert ses portes en décembre 2019, au cœur de Paris, dans le 9e arrondissement. Résolument ancré dans son quartier, il appartient également à tous, parisiens ou franciliens, pour une médecine de proximité qui marie démocratisation et excellence.

Proximité ! Ce mot n’est pas vain car le pôle s’inscrit dans une Communauté Professionnelles Territoriale de Santé, selon une logique de responsabilité collective, partagée entre médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens ou personnels paramédicaux.

Son activité va monter en puissance tout au long de l’année 2020 avec l’installation de l’imagerie médicale – IRM et scanner -, des médecins généralistes et spécialistes, d’un plateau dentaire, la réalisation de prélèvements biologiques et de bilans de santé. Sans oublier les services de santé au travail du CMB présents dans l’immeuble du Pôle Bergère.

A tous ces titres, le pôle incarne l’ambition des pouvoirs publics telle que définie dans le plan « Ma Santé 2022 » : celle d’assurer une prise en charge globale, graduelle et continue des personnes.

Le Pôle santé Bergère manifeste en outre l’importance donnée depuis quelques années à la prévention. Nous avons ainsi conçu des bilans de santé innovants, adaptés aux professionnels de culture et de la création, aux salariés comme retraités, aux Intermittents comme aux permanents… En proposant ces bilans, Audiens donne sens à des convictions : la santé et la qualité de vie au travail sont nécessaires à la fondation d’un nouveau contrat social qui replace le capital humain au cœur de l’organisation du travail.

Pouvez-vous nous parler de la Fondation Audiens Générations ?

Responsable et engagé ! C’est ainsi que nous avons toujours conçu l’ambition du groupe Audiens en faveur des personnes et des générations futures. Le Pôle santé Bergère en est d’une certaine manière l’expression. Au cœur de notre projet pour la culture, il y a l’humain, que nous accompagnons dans le respect des différences et des fragilités, comme dans l’expression des talents. Fédérer les initiatives solidaires, agir dans la cité, exiger l’exemplarité pour mieux servir… : le groupe mène une démarche responsable, où le vivre ensemble, la justice sociale, la santé et le bien-être sont des mots qui se conjuguent au quotidien.

Le soutien à Harmonie Mékong pour l’étude du français, notre proximité avec l’Autre Cercle ou Regards Croisés, le Colloque Deuil, l’obtention dès 2011 du Label Diversité, notre présence au sein du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées – un fait unique parmi les groupes de protection sociale – sont bien les symboles de notre action sociétale, les symboles d’un engagement immuable et désintéressé.

« Pendant que nous sommes parmi les hommes, pratiquons l’humanité ». Nous savons que de très nombreux professionnels de la culture ont fait leur cette pensée de Sénèque. Par conviction, par nécessité tant ce monde est vulnérable.

La Fondation Audiens Générations s’en fait l’écho depuis 12 ans : dans sa diversité, la culture est source d’épanouissement, une terre d’expérimentation, un vecteur d’émancipation et d’intégration, un outil de transmission. Un capital humain qui nous semble devoir instruire une véritable école citoyenne, un développement réellement durable.

Humanisme ! Ce mot est fort, sincère. Car les nombreux dossiers reçus par la Fondation témoignent de l’altruisme du monde culturel. Et nous réconcilient avec ce sentiment de fraternité qui constitue un rempart face à l’indifférence. Et comme la générosité ne préserve pas toujours de l’injustice, il nous appartient d’encourager ces initiatives, de participer au renforcement des liens entre toutes les générations.

Que représente pour vous le Club de l’Audiovisuel que vous présidez ?

Les mutations de l’audiovisuel exigent une attention prospective dont nous le Club de l’Audiovisuel doit se faire l’inlassable porte-parole, à travers l’organisation des dîners et la soirée des Lauriers. Une intuition fondatrice que nous devons à Jean Cluzel. Aujourd’hui, notre responsabilité vis-à-vis du débat et de la transmission est toujours plus grande, à l’aune d’une révolution numérique dont nous ne saurions prédire les lendemains.

Les témoignages de nos invités, les talents honorés par les Lauriers nous l’ont appris : l’audiovisuel a su réinterpréter ses codes narratifs et économiques, modeler des services audiovisuels novateurs. La révolution numérique, justement, est au cœur des réflexions de cette assemblée et nous avons longuement débattu, sans fatalisme et naïveté, des nouveaux horizons que dessinent la mondialisation, de concurrence asymétrique, d’équité fiscale, de juste rémunération ou de la nécessaire réforme des modèles économiques… C’est bien cet esprit d’innovation et d’audace, cette exhortation à la créativité que chacun des membres du Club s’efforce d’entretenir au quotidien, avec le sentiment d’exercer un devoir citoyen tant l’audiovisuel est un bien commun.

Pouvez-vous nous parler des Lauriers de l’Audiovisuel ?

Patrick Bézier : Depuis 25 ans, la cérémonie des Lauriers de l’Audiovisuel soutient la création et valorise les talents audiovisuels. Véritable miroir de notre société, son palmarès témoigne, je crois pouvoir le dire, d’une démarche qui ne concède en rien à la confusion des genres, à la recherche du sensationnel ou la facilité de l’audience. Avec l’expérience, force est de constater que la création audiovisuelle française irradie par sa vitalité et sa diversité. Elle constitue en ce sens un patrimoine exceptionnel. Mais qu’une simple commémoration, les Lauriers vivent et se renouvèlent chaque année grâce à des femmes et hommes passionnés par leur métier, animés par le devoir de transmettre, le plaisir de créer et de divertir.

Un nouveau nom et une nouvelle identité institutionnelle, un nouveau jury, un nombre croissant de programmes visionnés…, les Lauriers se renouvelés depuis 2018. Une mue nécessaire et conforme aux mutations du secteur ! Oui, le Club de l’Audiovisuel souhaite désormais fédérer toutes les expériences et rendre d’une certaine manière justice au numérique, à ses nouveaux acteurs qui bouleversent le langage audiovisuel et remodèlent les contours de notre fameuse exception culturelle. Mais nous ne perdons pas de vue l’essentiel : l’histoire que les Lauriers écrivent est bien celle des professionnels de l’audiovisuel, féconde, émouvante, exigeante.

En êtes-vous le fondateur ?

J’ai eu l’honneur d’être élu à la présidence en 2008, me faisant ainsi l’héritier de Jean Cluzel, le légataire de Marcel Jullian, Roland Faure ou Henri Pigeat, pour ne citer que les pères fondateurs du Club de l’Audiovisuel. Car il a été créé en 1995, avec l’ambition de fédérer les acteurs de l’audiovisuel autour d’objectifs communs : la promotion de la création française, la recherche constante de la qualité, la conception de nouveaux paradigmes économiques. Un quart de siècle est passé mais la passion du débat reste intacte.

Vous êtes l’auteur du livre Sauver la Culture, préfacé par Philippe Torreton. Avez-vous d’autres projets littéraires ?

« Transmettre » est une exigence que j’ai toujours partagée avec l’ensemble de collaborateurs d’Audiens. Cette inspiration ne saurait se tarir, au gré des combats à mener, en faveur de la culture, de la justice sociale ou de l’Europe.

Transmettre l’expérience, c’est justement la vocation des recueils que nous avons consacrés au deuil : « Face au deuil », en 2005, « Deuil, histoires de famille » publié en 2007, « Deuil et vieillissement, regards de femmes », ou « Mourir en dignité » en 2014. Ces écrits ont été conçus comme des invitations au partage, des rencontres très humaines où se libèrent les émotions, dans la bienveillance et le respect. En cela, nous avons eu le sentiment de faire œuvre utile. Car la solidarité et l’écoute sont essentielles aux personnes endeuillées, trop souvent confrontées à la solitude et à la désespérance.

De la même manière, les recueils dédiés à l’histoire de la protection sociale (ndlr : « les Coulisses de l’histoire »), ou à la création d’Audiens (« Audiens, le chemin des étoiles », publié en 2008), sont la mémoire de luttes pour la dignité, pour la reconnaissance et la structuration de droits… En explorant les avancées et mouvements collectifs qui ont édifié les régimes sociaux de la culture, originaux et précurseurs s’il en est, ils s’investissent d’un sens très actuel. Car l’exploration et la compréhension du passé est plus que jamais nécessaire à l’heure où l’accélération du temps et l’immédiateté encouragent l’amnésie, voire l’aliénation.

Vous évoquez « Sauver la culture » ! Ce texte ne prétend pas donner toutes les solutions. Mais il constitue un appel à la vigilance, pour mieux protéger et mieux créer. Car n’ayons pas peur des mots ! Face à la concurrence des champions numériques américains, souvent injustes, parfois brutales, la culture est en danger. L’exception française, comme sa diversité qui se met au service de l’intérêt général, sont assiégés. C’est pourquoi le citoyen européen que je suis a souhaité lancer cet appel pour encourager la réinvention de notre modèle.

Quel est parmi toutes vos différentes activités, le poste qui vous est le plus cher ?

Sans la moindre surprise, comment ne pas évoquer mon expérience au sein d’Audiens, que j’ai eu l’honneur de diriger avant de présider aux destinées d’Audiens Care. Audiens est une construction politique, certes, mais avant tout une aventure humaine. Et qui fait sens ! Car le groupe contribue à la culture française, à sa préservation, à son rayonnement, en facilitant la vie de celles et ceux qui y œuvrent.

Quand Audiens a été créé, beaucoup ont douté de sa pérennité, parce que trop petit, parce que dédié aux professionnels de la culture. Lorsque je repense aux premières années d’Audiens, une figure me revient : celle d’un collaborateur, Hugues d’Aubarède. En 2003, il avait décidé de gravir l’Everest pour fêter le 50e anniversaire de la première ascension du toit du monde. J’ai soutenu cette initiative car en l’encourageant, nous ne pouvions mieux encourager aussi symboliquement Audiens. Il a réussi et planté le fanion du groupe au sommet de l’Everest. Il est mort en 2008 en redescendant du K2. Sa mémoire, ses passions comme son courage ne cessent depuis de nous accompagner.

« A chacun son Everest » dit justement la maxime. Et de tous les actes, le plus complet est certainement celui de construire. A ce titre, le Pôle santé Bergère ne saurait mieux résumer ce qu’est Audiens : un groupe ambitieux, expert, et humain. Des qualités que je prête, avec une certaine fierté, à l’ensemble de nos collaborateurs.

Eléments biographiques

A propos de Patrick Bézier :

Patrick Bézier a consacré toute sa carrière aux relations sociales et humaines dans le secteur de la culture. Il est aujourd’hui Président d’Audiens Care, qui développe l’offre de soins et de prévention du Groupe Audiens, et de l’association Réalités du Dialogue Social.

Il débute sa carrière à Radio France en 1980 et devient, en 1988, Directeur administratif et des ressources humaines de Radio Monte Carlo. En 1991, il rejoint La Cinq, en tant que Directeur des relations humaines. Il est appelé en 1991 à la fonction de Délégué général de l’ANDRH.

Après avoir assuré la direction générale du Groupement des Institutions Sociales du Spectacle (GRISS), il prend, en 2003, les fonctions de Directeur général d’Audiens, le groupe de protection sociale de la culture, de la communication et des médias. Patrick Bézier le dirigera et le développera jusqu’en juin 2018.

Il est co-auteur de plusieurs ouvrages (Editions d’Organisation, Jacob Duvernet) et a publié en 2018 « Sauver la culture, protéger pour mieux créer » aux Editions Nevicata.

Patrick Bézier est Officier de l’Ordre National du Mérite et Chevalier de la Légion d’Honneur.