Rispal – issime

Par Mylène Vignon

Un autre monde est né à Paris près de la Seine dans la cave d’un étrange garage, celui de Josette Rispal, sculpteur de rêves. Entre matières et chiffons restitués à la vie, elle façonne, maçonne, compose, enchante et étonne. Les noirs obsidiens, soudain devenus bruns comme sculptés dans le pain d’épices, se bousculent et tentent de prendre place dans cet univers limite-inquiétant mais si beau !  Beau parce-que très fort. Angoissant à qui ne peut comprendre. Familier à celui qui sait voir et doux à qui sait recevoir.

Masques aux couleurs insensées, fleurs de lumières, témoins d’un avant l’après, monceaux de  quelque-part où l’on n’a pas accès. Sauf si on le mérite absolument. Chiffonnettes qui se multiplient à la vitesse des lapins, dentelles de lune et poussières de nuages, rideaux de parfum. Il ne manquait plus que les perruques en coquillages portés par des sirènes, elles sont là, ne vous inquiétez pas, au milieu des madrépores, des ammonites et des huitres perlières.

Les Recensés de la crèche magdaléenne sont  devenus multitude, on ne peut les compter, brillantes sentinelles composites de métal et d’alchimie elles veillent sur le pré-carré de l’artiste.
 Une suave touffeur d’encens, ajoutée à l’émerveillement de tant de complicité silencieuse m’enivre. Il me vient une larme d’âme, comme une perle fluide sur la joue, comme l’infime musique inattendue d’une feuille de soie bougée, entendue de l’intérieur.

Elle ne demande rien, elle donne. Sa motivation : ré enchanter le monde. Et comme elle y parvient !
En haut, d’autres artéfacts attendent dans un silence assourdissant le doux son de la clé dans la serrure. J’y retrouve les petits bouts de rubans, de plumes échappées d’un boa, un tube de rouge à lèvres, une jarretelle orpheline et des dentelles jaunies que j’avais religieusement déposés à la porte de l’atelier, de part et d’autre sur des dames.

Les dames : la reine Margot, la fumeuse, la prostituée, la magicienne, la journaliste qui me ressemble un peu… On se repose les yeux sur l’arbre à cravates, symbole de testostérone dans ce monde de féminité interlope. Je m’émeus de savoir que Cioran, Mastroiani, Sagan, Bernard Frank, Arielle Dombasle et mille autres personnalités ont emprunté avant moi le chemin de lumière.

« En l’île quittée du soir qui tombe »* est le titre d’un livre d’Henri-Hugues Lejeune, son écrivain de mari. Un livre de verre, de couleurs et de coulées de mots intimes, illustré par Josette Rispal, l’artiste la plus libre de l’univers, l’inclassable, l’insaisissable.

Je quitte cette amie presque sœur, apaisée et récompensée. Je la sais muséale et je n’ai qu’un souhait, partager mes émotions avec vous tous. Alors, à quand un musée Rispal à Paris?

*Hors normes : Le Contre Annuaire 11-13 éditions