Regards

Nouvelle vague de Richard Linklater . Un désir de cinéma

Par Joëlle Péhaut

Sortie du Louxor, le 3 octobre 2025, après l’avant-première de « Nouvelle Vague”.

Tu sais quoi, Marie-Claire, quand on rentre à Villon, on prend nos téléphones et on fait des films »

-« Ouais, Jo. C’est une super idée, on va bien s’marrer! »

Rédiger ma première chronique pour Saisons de Culture sur le film de Richard Linklater “Nouvelle vague”, vient pertinemment servir mon intention d’honorer le grand Pascal Aubier qui, pendant de longues années (Lire “Ciné foutoir dans le couloir” des Editions Saisons de Culture, 2021) a partagé son expérience de cinéaste, son intelligence, sa sensibilité et son humour avec les lecteurs de Saisons de Culture. Et de la culture, il en possédait une solide et éclectique, théorique et pratique, mais surtout vécue. Car Pascal était avant toute chose, un homme de la vie.

Nous partagions cela.

Le film de Richard Linklater est un hymne à la vie et à la création, rigoureux dans sa manière de rendre compte des vingt jours de tournage du premier long métrage de Jean-Luc Godard, en1959, “A bout de souffle”.

La bande de copains des Cahiers du Cinéma, ceux qui feront la nouvelle vague, occupe l’espace de l’écran dans des mouvements vifs et “naturels” , une circulation fluide et libre.

Et on y croit!

Grâce à un casting prodigieux qui a duré plus de 6 mois, avec des acteurs inconnus et tellement ressemblants, oui, on est dedans!

Chabrol( Benjamin Clery) avec ses lunettes sévères et son air déjà vieux, Belmondo (Aubry Dulin), en parfaite incarnation du looser romantique et insolent, Truffaut (Adrien Rouyard) et son sourire délicat, Coutard (Matthieu Penchinat) dégingandé et concentré, et bien-sûr, Godard (Guillaume Marbeck), éternel taciturne, avec ses lunettes noires rivées aux oreilles, ses aphorismes cultes et sa voix à nulle autre pareille (performance du comédien). Même le Paris des années cinquante, star centrale du film, est fidèlement restitué.
Mais là, ce sont les choses.

La force de ce film est d’avoir restitué également l’esprit des choses.

C’est en voyant “À bout de souffle”, alors qu’il avait vingt ans (il en a désormais soixante-cinq) que Richard Linklater a compris que faire du cinéma était possible. Et lui-même a beaucoup expérimenté. Un tournage qui a duré vingt ans pour le film “Boyhood” et ce n’est qu’en 2040 qu’on pourra voir “Merrily We Roll Along”.

Reste que réaliser un film sur un autre film n’est pas mince affaire.Toucher à une icône iconoclaste n’est pas sans danger et Richard Linklater était inquiet de trouver”le bon ton”. Outre le casting, il s’agissait de propager (verbe utilisé pour sa familiarité avec propagande, évidemment) ”ce vent d’excitation et d’optimisme qui vont de pair avec la jeunesse et la”.
création artistique.

D’abord, tous les spectateurs connaissent la fin du récit. Ce n’est donc pas l’intrigue qui peut nous tenir en haleine cependant cent cinq minutes.

Ensuite, il s’agit de contourner l’adoration ou la fétichisation de ce personnage central (rappelons que Jean Luc Godard est inconnu à l’époque). En fait, l’écueil est évité car le personnage est toujours en lien avec la bande de critiques, de cinéastes débutants (Truffaut vient de présenter “Les 400 coups” à Cannes) ou confirmés et de techniciens qui sont tous des personnages très incarnés et engagés dans des interactions.

Richard Linklater montre combien un film est, avant tout, une oeuvre collective nourrie de concertations. Et que, malgré la liberté préservée, la part d’improvisation, l’espace laissé à l’expérimentation, le résultat n’est pas le fruit du hasard.

Calées dans nos fauteuils de velours au Louxor, nous ressentons pleinement cette dynamique.

Et puis Richard Linklater a travaillé lui aussi avec une équipe réduite et tourné en 35 mm.

On imagine alors comment, avant de restituer, le réalisateur américain a d’abord, éprouvé.

Enfin, c’est une image très hospitalière qui nous invite à y entrer, comme dans un bistrot peuplé de copains insouciants, souriants et joyeux. Avec eux, on éprouve l’impatience, l’étonnement, l’inquiétude et la rigolade. Embarquées dans ce récit alerte, ce ton syncopé et le rythme effréné du tournage, on en découvre aussi les astuces et les imprévus.
Quelle joie!

Le réalisateur de “Nouvelle vague”, sans copier la manière de filmer de Godard, a su faire un film très personnel, a réussi l’exploit de jamais être écrasé par son sujet et génère une puissante envie de cinéma.

Dans une France engagée dans ce qu’on appelait pas encore “la guerre d’Algérie”, où le monde intellectuel était pris dans la polémique entre Sartre et Camus et où un millier de

Téléviseurs pénétraient les foyers, qu’À bout de souffle a été possible. Alors, aujourd’hui, dans l’ambiance belliqueuse qui nous fait augmenter le budget des armées, dans cette France dépeuplée de toute polémique entre intellectuels, faute d’intellectuels, et au moment où petits et grands sont rivés aux réseaux sociaux, je dis:

« A vos téléphones, à vos GoPro, à vos super 8, à vos Louma, qui sait ? »

« Moteur, Marie-Claire!! »