‘I am free’ au 104 Chuis lib’
Et quand la liberty se conjugue en anglais : « I am free ».
Libre comme l’air . Et quand on est libraire, libre comme l’air, on a un slogan qui sonne mieux que « libre hère », hein ?
Sauf que, « libre comme l’air », vous l’êtes quand vous roulez en bagnole, au milieu des embouteillages parisiens, en Autolib’ plus exactement. Le pendant du Vélib’, tout est dans l’apostroph’ ! Chuis lib’ en V’lib’, chuis bell’ et r’bell’, chuis lib’ et r’lib’ en Autolib’.
Répétez ! Vous êtes « libre comme l’air » en Autolib’, on vous le dit, on vous l’écrit sur votre bagnole à louer électrik, ultrachik. Car votre voiture branchée (sur borne), on vous le dit, on vous l’écrit, est bien plus écologik que les autres, les pétrolettes pour pétroleuses cheaps.
Donc j’ai découvert dimanche que je suis « libre comme l’air » en Autolib’ mais aussi « I am free » à l’usine à gaz du 104, le Tout-culturel du 19è arrondissement, pas loin d’une station d’Autolib’, justement.
Là, vous êtes vraiment chanceux, vous êtes vraiment free.
Au 104, on franchit des grilles devant des vigiles débonnaires, des caméras de surveillance discrètes (faut ce qu’il faut) mais sachez que vous êtes free, archi-free. Un bouquiniste heureux vous détourne le regard vers ses livres hors d’âge avant d’entrer direct dans la modernité chic et rechic. La jeunesse dansante se replie derrière les barreaux des recoins, autorisée à gesticuler le jour de la messe sur fond sonore de groupes ethniques.
Une fois dans la première cour, un mur de verre recouvert d’écritures en néon vous déclare que l’endroit est ouvert, pardon open, dans toutes les langues, au cas où vous auriez un doute.
A l’intérieur de la cage de verre, des gogos en goguettes entrent perplexes, en compagnie de familles désœuvrées libres d’admirer leur marmaille au centre de la huitième merveille du monde. Des groupuscules s’ignorent dans leurs différentes activités physiques, leurs affaires librement jetées en boule. Des solitaires se ruent sur des livres d’art abscons pendant que d’autres se cassent le nez sur une boutique Emmaus, leader du marché de la détresse, qui respecte cependant le Jour du Saigneur. Un labyrinthe en carton-pâte au sous-sol vous fait regretter de n’avoir personne sous la main à vous débarrasser. Quand vous avez contourné des fils ni barbelés ni électriques (on ne sait jamais) appelés œuvre d’art, vous êtes soulagé de franchir le deuxième mur de verre sans égratignures.
La seconde cour vous permet de vous projeter face à un autre mur, immense, blanc, immaculé, but de votre chemin de Croix et de Compostelle. Là, deux escaliers de chaque côté longent la paroi murale pour aboutir à un palier central. Deux grandes ailes d’ange ou d’archange, vides de corps, vous tendent leurs plumes. Avec écrit élégamment au-dessus, vous l’avez deviné, en néon blanc industriel, écriture scripte, auréole laïque : « I am free ».
Pour aboutir à ce nirvana, l’enfant prépubère, la chienne Mirza, le touriste tous risques, la tante Ursule se paient une grimpette sur un des escaliers pour se tenir debout entre les deux ailes de poulet dominant le monde. Mamie Nova et Papy Brossard photographient votre exploit, vous êtes enfin free avec vos yeux de merlan free, votre freeme et votre freec.
Free, archifree, hyperfree, bien plus free que les freetes congelées. A un million d’euros par mois que coûte le 104 aux contribuables et aux privés, vous avez une freeture de grand luxe, car la liberty n’a pas de pree quand on est free.
Au 104 en Autolib’, chuis définitivement frit.
Armel Louis