Portraits

Nayla Malouf du Masque à l’âme

Entretien avec Mylène Vignon

C’est à la galerie Terrain Vagh, lors d’une exposition collective consacrée à la Méditerranée, dirigée par Moufida Atig, que j’ai rencontré le travail de Nayla. Elle y présentait des masques impressionnants de vérité qui s’imposaient en majesté sur les cimaises de la première salle.

Entretien

 

Chère Nayla, je suis toujours fascinée par ces belles rencontres d’âme à âme qui émanent de tes œuvres et qui ouvrent des portes sur des histoires si fortes, probablement dues à ta riche culture libanaise, mais encore… ? Parle nous de la genèse de tes œuvres.

Comment était la petite Nayla vers huit ou neuf ans ? Quels sont tes souvenirs d’enfance ?

1982, 1983, détonations, abris, flammes, multiples fuites vers Chypre en hydroglisseur. Des personnes de tous âges effarées, d’autres insouciantes. Des arrivées à destinations tumultueuses, et j’en passe. Le Liban est meurtri. Mais derrière un walkman on entend et imagine que ce que l’on a envie.

A 9 ans j’ai déjà vécu à Londres, à Lausanne, à Paris. A chaque accalmie ; retour à Beyrouth. Alors je ne parlais pas beaucoup, quoi dire, je ne mangeais pas beaucoup, jamais faim. De la guerre j’ai trop tôt appris le mot éphémère.   Je m’échappais dans la danse classique, dans le dessin.  Ma vie était déjà marquée par de multiples déménagements et d’adaptations.  Mais j’avais mes repères l’amour de mes parents de mes sœurs, et surtout l’optimisme, l’environnement familiale féru d’art, de culture en général.

 

Du masque à l’âme, la distance est courte, comment charmes-tu la matière pour qu’elle nous attire tant ?

je ne prépare rien à l’avance. Je ne dessine pas, je ne planifie pas, je ne pense pas trop. Dans mon atelier, j’entre comme on entre en soi pour mieux en sortir. J’oublie tout. Ce sont mes mains qui savent. Elles cherchent elles parcourent la matière au rythme de la musique, du jazz, de la musique africaine, de la techno. Je crée de façon instinctive, presque viscérale. C’est l’inconscient qui guide. Ce moment est suspendu et me détache du réel, il m’ouvre à un monde sans contours. Le processus est brut, libre, et chaque geste est une réponse au ressenti immédiat. La tentative est d’être le plus proche de ce que je vais découvrir et in fine espérer embarquer quelques-uns dans cette aventure.

 

Est-ce selon toi un bonheur où une charge d’être artiste et de dévoiler ainsi le caché de la personnalité ?

Créer, s’évader, ne pas vivre dans la servitude du temps, est peut-être un cadeau de la vie, et donc une chance. Se dévoiler même et surtout à soi fait peur. Mais si parfois l’autre nous perçoit plus justement que nous même alors créer n’est pas une charge mais un partage, une forme de transmission.

 

Quelles sont tes maîtres en matière de peinture, par exemple ?

Jean Dubuffet, Fernand Leger, Keith Haring… Ce sont mes échos fondateurs. Dubuffet pour son refus des codes, cette liberté de créer avec ce qui déborde, ce qui gratte. Leger pour son langage si puissant, sa géométrie vibrante, son sens du mouvement. Haring, pour l’urgence de son trait, sa façon instinctive de faire jaillir l’énergie du corps et de la rue. Et il y a aussi mes deux mentors : Patrice Cadiou, sculpteur, chez qui la matière parle avant même le mot. Avec qui je partageais ce goût de redonner sens à ce qui se jette et s’oublie à travers le upcycling, mettre à la verticale ce qui se penche et courbe l’échine. Et bien sûr Pierre Cadiou de Condé artiste peintre, dont la finesse d’esprit, la puissance et la rigueur du geste m’ont profondément marquée. Tous m’ont appris qu’il n’y a pas d’art sans un abandon à quelque chose de plus vaste que soi.

 

À quoi rêves tu aujourd’hui ?

Que chaque souffle nouveau, qu’il vienne de l’humain, de la nature ou de l’intelligence artificielle, tende vers le beau, le mieux, l’équilibre. Je ne rêve pas d’un passé idéalisé ni d’un futur figé, mais d’une évolution qui saura se poser en harmonie avec le vivant.

 

Le mot de la fin t’appartient…

Ce monde, aussi vertigineux soit-il, suit à mes yeux l’évolution naturelle de l’intelligence humaine. Mon expression ne cherche pas à expliquer, mais à ressentir. Elle danse avec les éléments, elle refuse l’oubli, la peur. Elle tente de porter en elle quelque chose de vital : la juste vibration.  Cette libre conscience des voyageurs des temps.   J’ai beaucoup de gratitude pour celles et ceux qui y sont réceptifs.