Portraits

Richard Laillier

Entretien avec Mylène Vignon

Richard Laillier, nous avons eu le plaisir de publier une de vos œuvres pour notre première de couverture de l’hiver 2020 -21, qu’avez-vous pensé de ce choix ? Le trouvez-vous en adéquation avec la période que nous traversons ?

L’homme courbé — décembre 2011 :

Comme un pont traversant, il se penche sur sa part noire et ce faisant il en est baigné, il commence dans le noir et s’achève dans les ténèbres, ce dessin n’est pas une parabole même si mathématiquement on pourrait y trouver un clin d’œil. J’ai voulu y intégrer la promesse d’un ressort, c’est un homme courbé et prêt à se redresser, épousant dans son arc la courbe de la terre sur laquelle il a cessé un instant de déambuler. J’aime penser qu’il se rassemble avant de se redresser et tendre sa tête vers ce ciel infini, noir, qu’il éclairera peut-être.

Alors, en effet, il arrive à point nommé dans cette période exceptionnelle !
Quel a été votre cursus en matière d’art ? Étiez-vous artiste dans l’âme dès l’enfance ?

Je crois que je ne suis pas un autodidacte, j’apprends « sur le tas » tout ce que je fais. Je crois que c’est une sorte de déformation liée à mon goût prononcé pour les rencontres, la transmission directe des savoirs. Quelque part, en réfléchissant, cela ressemble à une accumulation de professeurs particuliers, non pas déterminée par une envie d’établir un rapport privilégié, mais plutôt pour contrebalancer une timidité qui me gêne encore parfois. Et puis il y a les livres, le regard, j’aime découvrir.

Quant à mon enfance, même avec du recul, je ne pense pas avoir eu de vocation artistique, la seule certitude que j’ai, est d’être né rêveur et de ne pas avoir pu ni voulu changer cet état.

D’où vient l’utilisation de cette pierre noire qui caractérise votre travail ?

La mine de pierre noire est arrivée presque par hasard entre mes mains, je cherchais un noir plus intense que les gris du fusain, une mine dont l’ancrage dans le sens de la pérennité sur le support soit fort. La pierre noire possède de plus une qualité qui m’emporte : elle peut se superposer à elle-même intensifiant toujours son noir et repoussant sa propre saturation toujours plus loin. Optiquement cela me complaît dans un vertige particulier, je suis bien conscient que cela n’est pas physiquement vrai si l’on s’en tient à l’optique newtonnienne, je me sens plus proche, dès ce moment-là, des énoncés formulés par Goethe dans le Zur Farbenlehre, plus proche d’une émotivité que la pierre noire transmet depuis ses profondeurs minérales.

Quel est votre plus beau souvenir artistique ? 

J’en ai d’innombrables et ce n’est pas une formule. Les souvenirs sont peut-être une étrange confusion de notre rapport au temps. Certains d’entre eux reviennent, au détour d’une pensée ou au hasard d’une conversation et un souvenir précis en adéquation avec ce hasard ou ce détour peut me sembler le plus beau à ce moment-là, mais votre question me fait réfléchir plus profondément qu’au fait de sélectionner l’un de ceux-ci et il est bien possible que mon plus beau souvenir artistique soit de me rappeler parfois que j’ai de la mémoire.

Quels sont vos projets ?

En premier lieu de continuer à m’émerveiller de vivre. De façon moins générale, j’ai reçu à l’automne un ensemble de panneaux de tilleul articulés entre-eux. C’est un polyptyque en devenir qui va me demander un certain temps. J’ai à la fois hâte de me mettre à ce travail et la retenue que l’on peut ressentir avant un grand voyage, je profite également de la période actuelle pour travailler avec un éditeur sur la proposition qu’il m’a faite d’une monographie, quelques scénographies aussi pour des pièces de danse et des expositions actuellement en suspens notamment avec la galerie Tadeusz Koralewski à Paris.

Tadeusz a été mon tout premier galeriste et nous collaborons ensemble depuis plus de 25 ans, c’est en quelque sorte un paradigme de la conception augustinienne du temps, je le vois au présent, il est de mes souvenirs et tout autant de mes projets et c’est toute une histoire.

Merci, cher Richard, de ces précieuses confidences artistiques pour Saisons de Culture.

Le 30 janvier 2021

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