La chronique gastronomique d’Antoine Benouard. Juin 2021
Mythologie du steak tartare
On peut regarder le steak tartare à travers les trois célèbres dimensions lacaniennes du symbolique, de l’imaginaire et du réel.
Le symbolique d’abord : la dégustation d’un steak tartare est toujours un événement. Il marque un arrêt dans le quotidien. Il est la pause
Tatare dans la journée occidentale. Il est un rituel où le libre arbitre — l’accommodement volontaire des sauces — rencontre la prédétermination — le steak est déjà bien établi avec ses (précieux et incontournables) accessoires (les frites et la salade). Il est le choix et le non-choix, la liberté et la contrainte, la simplicité et la sophistication. Il est le combiné ambivalent du cru précivilisationnel et du presque cuit par les feux de la moutarde, de la conversation (à table) et de la sauce Worcestershire. Il est le retour du cannibalisme enfoui, de la transgression enfin autorisée, de la dévoration archaïque qui se mute en assiette bistrotière. Il est le champ conquis par la ville, la ronce domestiquée par l’herboriste. Il est la barbarie s’abouchant avec la culture.
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