Regards

Chronique numéro 33 – Alain Pusel

Jason et James : si proches et différents

Attardons-nous quelques instants sur deux « franchises » du cinéma contemporain, sur lesquelles l’esprit des séries issues et fabriquées pour le petit écran, voire pour le Très Petit Ecran, plane… nombre de nos concitoyens regardent leur série sur le timbre-poste de leur écran de téléphone portable durant leurs déplacements métropolitains. Ils regardent une série en se couchant, en se levant, durant leur temps de transport, durant leur temps de pause déjeuner. Finalement, on pourrait les transporter à l’époque des feuilletons dans les journaux d’avant-guerre (la Première). Et Emile de Giradin (1) par l’entremise de La Presse et des récits de Honoré de Balzac, les ferait autant rêver que Marc Randolph et Reed Hastings par celle de Netflix et des péripéties de Emily à Paris. La seule différence c’est qu’il faudrait lire et imaginer : soit prendre la clé des champs… et non écouter et regarder un piètre champ/contrechamp. C’était donc mieux maintenant. Et Hibernatus (2) peut continuer à dormir tranquillement en comptant les glaçons, dans son beau pays de neige. Revenons à nos blancs moutons, comme de petits nuages finement duvetés par le dieu Zéphyr dans le ciel au-dessus des toits et marquons un arrêt à la station JASON BOURNE. La trilogie s’étale de 2002 à 2007 : Jason Bourne : la mémoire dans la peau ; Jason Bourne : la mort dans la peau ; Jason Bourne : la vengeance dans la peau. Des actions, des paysages exotiques – Manille, l’Inde- des courses poursuites ( à pied, à cheval, non, en voiture, oui, à bord des trains à chevaux vapeur) un ex-agent de la CIA en cavale, à moitié amnésique (mais aux muscles omniscients) et un visage lisse, poupin et rassurant : celui de Matt Damon, un acteur qui construit sa carrière avec sérieux et discernement. Qu’est -ce qui fait que Jason Bourne est différent de l’autre agent ? Pas par le droit de tuer, ils ont tous les deux la « licence to kill » , mais par la manière de filmer ! Cette volonté affichée par les réalisateurs de la saga Bourne de la jouer images tremblées et caméra sur l’épaule ; procédé pour les jeunes/vieux. On avait compris que l’action est trépidante, pas besoin de surligner par la caméra qui bouge les décisions rapides prises par Jason, qui a beaucoup oublié mais pas ses réflexes inscrits à même le corps de son entraînement de super agent. Et aussi de faire fi du film précédent : plutôt que raccord subtile il y a lourd et confus rappel de l’épisode, pardon, du film précédent et un air immédiat de déjà-vu nuit à l’implication du spectateur. Au lieu de rejouer l’intrigue du « il se souvient / il ne se souvient pas », de ce qu’il s’est passé lorsqu’il a perdu la mémoire et lorsqu’il en retrouve des petits bouts, on aimerait se projeter vers l’après et éviter cet avant, cet éternel hier, de ce passé qui ne passe pas chez lui, d’autant plus qu’il n’arrive pas à recomposer le puzzle. En tant que spectateurs français, nous avons bien noté que tout ressassement autour d’un traumatisme nous renvoie, devoir de mémoire oblige, au passé vichyssois, et nous en avons épuisé – le croyons-nous, dans notre gobelet de thermalisme effervescent, toutes les bulles… Deuxième station : Bond, JAMES BOND. Les épisodes de cette franchise, avec un 007 sous les traits de Daniel Craig (3) depuis quinze ans, sont marqués par une volonté scénaristique de continuum entre deux , voire trois films successifs. Fidélisation courte ? Tentative de coller aux tendances du moment ? Mnémosynie pour les post-modernes ? Dans ce feuilletonnage entre hier et aujourd’hui, extrayons de ces lasagnes bondiennes le meilleur de ces années de projet pontif : « Skyfall » de Sam Mendes. Le dernier épisode sorti en 2021, No time to die, est marquant mais moins accompli. Loin de ce jeu de cache-cache propre à Jason avec des traumatismes et leur flou rappel, la névrose individuelle de James qui est développée dans cet opus, véritable pierre de touche, nous stimule et nous oppresse chacun, chacune : à chaque spectateur le lest de sa propre famille. Nous sommes en communion et en complicité avec 007. Ainsi ce magnifique Skyfall nous mène sur les traces initiales de James ; et comme le dit avec justesse M (sa mère adoptive et accessoirement la Directrice du fameux MI 6) : « les orphelins font les meilleurs agents ». Le film se déploie sur une trame œdipienne : le « bon fils » désabusé revient à la surface parce que sa Mère, M, est en danger (James) ; le « mauvais fils » (l’ancien agent du MI 6, Raoul Silva) en pleine hainamoration maintient le cap pour assassiner ses Mères Patries (M et MI 6 tout ensemble) ; M rend son dernier souffle dans les bras de l’Orphelin qui aura tué, un peu trop tard, le Frère d’arme (en anglais : Brother in arms !) devenu ennemi juré de la Couronne (blessé par l’amour perdu de la Mère ( M + MI 6)). Nous connaissons bien ce sentiment : avoir regardé en arrière, pour mieux nous relancer vers l’avant. Jason, lui, voit toujours flou avant/après. Merci James de nous requinquer de la sorte en ce janvier 2022 : nous serons donc, chacun, chacune, ni tout à fait les mêmes ni tout à fait les autres. Nous aurons donc, héros de notre propre franchise, à nous occuper de nous-mêmes tout du long de cette nouvelle année, que nous avons, ô joie inégalable, commencé à vivre. Never say never again ! (4)    
  • (1) Emile de Girardin, 1812-1887, fondateur du quotidien La Presse dont il réduit le prix de vente par rapport au marché et y fait insérer les premiers romans-feuilletons, notamment des nouvelles à suivre de Balzac.

  • (2) Hibernatus : film de Edouard Molinaro, 1968, dans lequel Louis de Funes, alias Hibernatus, est retrouvé congelé au Groenland. Il retrouve sa place dans la société et dans sa famille, 65 ans après le début de son hibernation.

  • (3) Daniel Craig incarne James Bond à cinq reprises depuis 2006 : Casino Royale (2006), Quantum of Solace (2008), Skyfall (2012), Spectre (2015), Mourir peut attendre (2021)

  • (4) Sean Connery revient dans son costume de 007 en 1983 pour cet épisode…

Rires et grincements : Gombrowicz à l’Opéra Garnier

Par Cybèle Air

L’art lyrique admet-il le rire ? Le grotesque ? Peut-on rire à l’opéra ? La distance du rire est-elle compatible avec la saisie par l’émotion musicale de tout l’être, son emportement ? Certes le Falstaff de Verdi prête-t-il au ridicule, et le forcené de la Tablature, dans Les Maîtres Chanteurs de Wagner, s’emberlificote dans ses calculs de rimes avec un sérieux drolatique et sot. Mais la musique nous emmène, les voix nous transportent, sans que la distance, l’écart critique n’aient vraiment leur place. Texte intégral

Chronique numéro 32– Alain Pusel

Vers le haut

Le dessinateur Philippe Ségéral, dans une interview autour du ciel, revendiquait une politique de l’élévation (1) qu’il souhaitait voir partagée : « J’ai lu à vingt ans un texte qui m’a toujours nourri et accompagné : Signe ascendant (2) d’André Breton, il y parle de la métaphore. Pour être recevable, la métaphore ne peut pas aller vers le bas (…) Parce que nous ne sommes pas divisés, parce que nous avons un impératif : aller vers le haut. (…) L’art doit être une célébration… » La salle du Vieux Colombier (3), par son nom et son organisation, encourage ses vœux : en effet, quelle plus belle métaphore de la paix et de la félicité qu’un vol de colombe – Pablo Picasso offre au Parti Communiste de Louis Aragon en 1948 une version dessinée et mémorable de ce pacifiste messager, et quel plus juste effort pour découvrir une exposition que de l’admirer sur deux étages… Voyons ainsi les œuvres sélectionnées par Saisons de Culture dans ce magnifique et municipal écrin. La photographe Anna Marchlewska dans une série de Trois Lévitations, invite ainsi à prendre son envol : le même modèle est tout ravi de s’exposer en ce sens ! Tout près d’elles, Esther Segal, dans un essor un brin similaire, propose un Jésus version cliché, avec des ailes ; ce côté Icare est plus poétique que blasphématoire : d’ailleurs l’expression « Jésus monta au ciel » permet de nourrir toutes les visions ascendantes possibles – du moment que nous regardons vers le haut, l’impératif programmatique de Philippe Ségéral est respecté. Un joli intermède a lieu avec trois superbes dessins, des Femmes rousses d’une belle puissance érotique, fruits du talent de Sophie Saintrapt ; est-ce une description précise et plastique de la pécheresse Lilith, ou bien la nudité heureuse d’une irlandaise anonyme ? Le trait ne précise pas si ses yeux sont de braise, ces derniers étant clos ; divine pudeur ou éhontés excès ? Il faut interroger Sophie. Est-ce la même malice qui anime les collages de Mylène Vignon ? Le titre de l’un d’eux pointe la présence plein centre d’une nymphette de plage, vêtue de très menues voiles (d’été) de pudeur et ne laisse présager que le meilleur : Dans tes rêves. Soyons assurés que Mylène et Sophie sont des bretonniennes intègres, convaincantes et convaincues. A l’étage, voyons alors les travaux sérigraphiques de Michal Batory ; l’un d’eux, intitulé : 100 ans de l’affiche patriotique de Pologne représente un rouleau de papier blanc qui se transforme en plumes, à moins que ce ne soit une ailes d’ange aux plumes duveteuses qui se rembobine en rouleau de papier ; nous restons donc en altitude. Clin d’œil personnel : en octobre 198… je sortais du RER qui m’emmenait à l’université de Nanterre pour la première fois et je rencontrais devant la salle de cours Darius qui sortait tout juste lui, des griffes des sbires de Jaruzelski. Les affiches « Libérez Solidarnosc » fleurirent quelque peu dans Paris. Darius, mon vieil ami. Passage en apnée avec la sculptrice Faz ; son Plongeon dont la matière polystyrène est émue par une silhouette de feuille d’or, fait retenir son souffle : de la cime à l’abîme, la beauté est escalade et chute de l’émotion. Mais un souffle coupé dit : respire encore. « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas » rappelle l’intransigeant leader du surréalisme ! (4) Nous y sommes bien rendus. Un instant encore avec les sculptures en cuivre martelé et soudé de Iris Vargas. Cette dernière s’est confrontée avec un sommet de l’Histoire de l’art, Las Meninas, et le résultat est aussi époustouflant que cocasse ; on peut tourner la tête à L’infante Marguerite, pour qu’elle la perde enfin, sans doute, ou pour que le visiteur se retouve dans le (bon) sens de l’histoire. Cette œuvre ainsi a tout d’une explosante-fixe, magique et circonstancielle ! Au sortir de la Mairie, impossible et impensable de ne pas rendre visite à la Chapelle des… saints Anges, sise dans l’Eglise Saint-Sulpice. La peinture de Delacroix Le combat de Jacob avec l’ange traduit bien notre condition humaine et prolonge par une note harmonieuse l’exposition du Florilège de Saisons de Culture. Hélas, les grappes de touristes se succèdent et empêchent la possibilité d’une rencontre avec ces duettistes : ce sera pour une autre fois. J’ai à peine le temps de lever les yeux vers le plafond et d’apercevoir, toujours de Delacroix, le Saint Michel terrassant le dragon. Et de lire l’inscription sur le mur à l’entrée de la Chapelle : « Retire-moi de la boue ! Que je n’y reste pas enfoncé. » (5) Je songe à Saint Breton terrassant les mauvaises expositions et au preux Ségéral récusant les artistes tirant leurs œuvres vers le bas. Ouf, nous l’avons échappé belle durant nos deux visites : loués soit ce Florilège et ce Grand Artiste ! Exposition à la Mairie du Sixième Arrondissement de Paris, Salle du Vieux Colombier, Florilège de Saisons de Culture, du 15 janvier au 5 février 2022. Photographie d’une œuvre de Michal Batory
  • (1) Philippe Ségéral, Levant les yeux, Entretien avec A.Pusel, arearevue numéro 22, été 2010, p.133
  • (2) André Breton, Poésie-Gallimard, éditions 1975
  • (3) Salle où se tient l’exposition
  • (4) André Breton, L’amour fou, 1936
  • (5) La Bible, Psaumes, 69.15
 

Hommage à Milshtein

Par Alin Avila

L’œuvre de Milshtein s’étend sur plus de soixante années, elle a toujours maintenu une cohérence dont il devient opportun d’en définir l’essence, surtout maintenant qu’il est parti. Il nous a quittés ce 4 février 2020. Texte intégral

Chronique numéro 31- Alain Pusel

Kiefer, l’éternel retour

Anselm Kiefer est de retour à Paris. Enfin, il semble n’en être jamais parti depuis 2007. Il est en résidence, comme on dit. Il a pris résidence, très exactement, dans tous les grands lieux d’exposition de la Vie Parisienne depuis quinze ans. Sous la nef du Grand Palais avec Monumenta en 2007. Au Louvre, en 2013, à la suite d’une commande du président de l’époque Henri Loyrette. A la BNF – François Mitterrand, et au Centre Georges Pompidou en 2015. Au Panthéon en novembre 2020 avec de plus des commandes publiques du Ministère de la Culture. Et aujourd’hui encore, au Grand Palais Ephémère depuis décembre 2021. D’un Président, l’autre. Que reste-t-il ? Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac ? On pourrait prendre les paris et envisager des œuvres en plomb, paille et bois de Kiefer au milieu de statuettes en ébène africaines. Le Conservateur saura bien trouver d’ici janvier 2026 (date fictive de l’expo) un concept bien-pensant et relié aux gnoses africano-occidentales. Une pensée votive avec un zeste de chamanisme fera bien l’affaire. Pistonné, Kiefer ? Il a pourtant bien du plomb (des tonnes) dans l’aile, mais son discours a lourdement trouvé preneur au sein de l’amitié institutionnelle franco-allemande, et vice versa. Il représente l’Artiste, avec un A majuscule, comme Allemagne, Allégorie et Alleluia. Tout lui est donc accordé, vu qu’il a entamé, continué et poursuit un travail de mémoire admirable, selon certains commentateurs, archéo-sensible, et qu’il s’ouvre à toutes les sensibilités possibles. Son talent d’orateur est certain, ses arguments sont sûrs. C’est la répétition qui fatigue et la succession de tapis rouges déroulés pour lui (à Paris) qui exaspère. Parce qu’il ne dit, fait et re-dit et re-fait que la même chose. Lassitude des habitudes. «  (…) la couleur ne sied pas à Kiefer. Elle surcharge. L’artiste n’est effectivement pas peintre. Aucune lumière ne sourd de ces tableaux, sinon celle, crépusculaire, d’un passé obsédant. Les rajouts, les objets collés, les effets francs de perspective (c’est-à-dire le spectacle) viennent pallier l’absence de profondeur. » (1) Ces lignes d’Olivier Céna datent de 2012, mais auraient pu être écrites cette semaine. Côté couleur… On peut être surpris par ces propos de l’artiste : « Au début, j’étais happé par leur puissance émotionnelle, humaine. (…) Van Gogh est en moi. C’est comme le retour au pays natal. » (2) Habile homme que ce Kiefer. Sa passion pour les poètes, dont Celan, semble sincère, certes. Il recouvre ses toiles de nombreux poèmes du poète, ce qui, outre l’obsession du monumental et le collage de matières (beaucoup de paille), montre que le texte est moteur de son travail et non l’espace pictural : Kiefer illustre des pensées et ne creuse pas le ciel des émotions colorées. « Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d’argile, Personne ne soufflera la parole sur notre poussière. Personne. Loué sois-tu, Personne. C’est pour te plaire que nous voulons Fleurir. A ton encontre. Un Rien, Voilà ce que nous fûmes, sommes et Resterons, fleurissant : La Rose de Néant, la Rose de Personne. »  (3) Rendre hommage, illustrer les poèmes de Paul Celan, cela ne serait-il pas plus juste de le faire avec une économie de moyens et une légèreté des structures ? Ce gigantisme écrase la fragilité des mots de Celan, qui dit une douleur en peu de mots, en quelques lignes et quelques pages. La monumentalité et la froideur des murs de matières de Kiefer nous paraissent signifier un geste aveuglant et aveuglé plutôt qu’une œuvre consolatrice et complice ; une œuvre d’épure. La réconciliation germano-française est-elle synonyme de portails noirs et bruns, ressassant des rêves de paille (coupée) et de plomb (résistant) ? On peut rester interdits devant l’obstination de ce choix : Kiefer comme ambassadeur permanent à Paris de l’impuissance et de la fermeture… Et on nous dit que l’Europe politique n’avance pas. Pas étonnant, vu l’absence d’espérance du plénipotentiaire. Il y a donc désormais des œuvres pérennes de Kiefer au Panthéon. Les Grands Hommes ne vont pas s’amuser tous les jours en les regardant. Pensez au sourire soudain figé de Joséphine Baker : ça va jeter un froid sur ses envies de danser et de chanter ses « deux amours…». Pensons à l’œil interloqué de Denis Diderot, et passé sa compréhension du faire (ah… la paille… ah… le plomb) de l’artiste, il se réfugiera dans ses souvenirs des œuvres de Chardin : où la lumière sublime révélait un gobelet en étain, où la peinture disait la joie d’être et de ressentir. L’œuvre, Monsieur Kiefer, n’est pas faite pour nous surplomber, matière à nous impressionner mais pour nous émouvoir et dans une brièveté sublime, nous élever vers le ciel des beautés. Anselm Kiefer pour Paul Celan, Grand Palais Ephémère, décembre 21/ janvier 22
  • (1) Olivier Céna, Télérama numéro 3276 du 24/12/2012
  • (2) Propos de Anselm Kiefer, Figaro.fr, 22/01/2013
  • (3) Paul Celan, Choix de poèmes, Poésie Gallimard, Psaume, p.181

Chronique n° 12 d’Alain Pusel

Nos fantômes dans les couloirs du temps

Qui ne se souvient de l’Un, avec ses longs bras, agités, son discours, volubile, ses doigts qui s’animent. C’est dans la classe de « Philosophie moderne » — tout un programme — déjà tourné vers les poussières du temps. L’Un donc, plus âgé que la plupart d’entre nous, basculés de l’omnibus du lycée, est tombé dans la potion moitié amère, moitié tonique, du mémoire pris repris repoussé transformé ; reprisé dans de la bonne laine dont la pelote des notions commence à filer sans qu’il ne sache plus à quel fil se fier.

J’accuse le dernier film de Roman Polanski

Par Pascal Aubier

Tout d’abord je tiens à dire que j’accuse personnellement cette partie du public, concitoyens et concitoyennes, qui s’est cru autorisée à mettre Polanski en accusation pour des faits remontant à 44 ans, sans qu’aucune décision de justice n’est été prise. Nous sommes entrés dans une époque du politically correct que je ressens comme suffocante et qui risque de nous conduire au totalitarisme le plus redoutable. Texte intégral

Chronique numéro 30 – Alain Pusel

Paradis Perdu

Durant une décennie environ, de 1970 à 1980, l’oreille de la France s’est laissée séduire par notamment SIX chanteurs populaires. Non pas le groupe des six fondé en 1916, inspirés par la poésie de Cocteau et la fantaisie de Satie : Auric, Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc, Tailleferre, mais des chanteurs, parfois aussi auteurs, ou compositeurs, qui régulièrement passaient dans le poste (de télévision) et promenaient leurs refrains sur les ondes (radio). Bien sûr, cette demi-douzaine se trouvait bornée de chaque côté par les deux stars interplanétaires françaises : Clo Clo et Johnny. Ces deux derniers se partageaient-ils le même public ? Y avait-il étanchéité entre les deux fans-zones ? Les deux affolaient les adolescentes. Plus de lolitas pour le poudré Claude que pour le beau cuir frangé de Johnny, certainement. Les hommes, les durs, les vrais se rapprochant plus de l’Idole à la Harley et les doux, chétifs, et sautillants du Patron des Claudettes. Enfin, ça faisait du monde et de grandes scènes de liesse dans les salles de concert, un tas d’hormones et de cris dans les coulisses des shows et des hôtels. De « Gabrielle » à « Alexandrie, Alexandra », dix ans de Tour de France, dix ans de vibrants rappels, dix ans dans la vie du « Chanteur abandonné » et dans celle du « Téléphone (qui) pleure » … La parenthèse enchantée du pays entre de Gaulle et Mitterrand, entre le Connétable (1) et l’Arsouille (2) ! Le pétrole longtemps bon marché, les Renault fabriqués en France, les Gauloises, les Américaines et les sourires aux lèvres ; dans les films de Claude Sautet tout le monde boit, rit et fume. Les filles portent des jupes très courtes, les garçons deviennent des hommes au service militaire, les Verts mouillent le maillot mais perdent face au Bayern, Bernard Thévenet terrasse Eddy Merckx dans les Alpes et dans les films des seventies, Michel Piccoli ne boucle jamais sa ceinture. La France rêvée, un rêve de Terroir, l’Hexagone idéalisée et liftée de tous ses côtés ? Une vision qui bascule vite cul par-dessus tête, et pourtant… Entre Johnny et Clo Clo se déploient de toutes leurs ailes, les six Archange de la chanson française, et se faufilent entre Guy Lux et Danièle Gilbert, Maritie et Gilbert Carpentier. Je t’écris mes images (…) Je t’envoie mes sourires des jours où je me sens plus fort (1) Et tous ces oiseaux (…) Là-haut dans les nuages J’aurais bien aimé les accompagner Au bout de leur voyage (2) C’est la fête, la fête C’est comme un grand coup de soleil Un vent de folie Rien n’est plus pareil Aujourd’hui (3) On allait au bord de la mer Avec mon père ma sœur ma mère Et quand les vagues étaient tranquilles On passait la journée aux îles (4) Depuis que je suis loin de toi Je suis comme loin de moi (…) Même si je ne le dis pas Je pense à toi tout bas (5) Ne m’appelez plus jamais « France » La France elle m’a laissé tomber Ne m’appelez plus jamais « France » C’est ma dernière volonté (6) Ainsi chantait et nous parlait la bande des six… On pourrait pousser le bouchon, côté prénom, et ajouter au club : Michèl(e) Torr et Eddy Mi(t)chel, mais nous ne le ferons pas, ami lecteur !

Non, nous aurons une pensée émue pour Michel Delpech, qu’enfant, à la Foire au Vin de Colmar, nous sommes allés écouter (entraîné par ma Tatie) et une autre pour Alain Chamfort (non non, ne cherchez pas le Michel là-dessous : son véritable nom est : Alain Le Govic ), puisqu’à cette même période, pendant une émission animée par Albert Raisner, je l’entends chanter :

« … Une bicyclette au bout du chemin, c’est l’amour en France… » Je regarde une émission de l’ORTF avec ma grand-mère. Je ne comprends pas ce qu’il veut dir. Je comprends que ma grand-mère Elsa aime bien cette chanson. Il faut dire : Alain, quel merveilleux prénom.
  • (1) Le Connétable : terme employé par Jean Lacouture dans la biographie référence de de Gaulle
  • (2) L’Arsouille : surnom que de Gaulle donne à Mitterrand
  • (3) Michel Berger, Quelques mots d’amour, paroles de M.Berger
  • (4) Michel Delpech, Le chasseur, paroles de M.Delpech
  • (5) Michel Fugain, La fête, paroles de M.Fugain
  • (6) Michel Jonasz, Les vacances au bord de la mer, paroles de Pierre Grosz
  • (7) Michel Polnareff, Lettre à France, paroles de Jean-Loup Dabadie
  • (8) Michel Sardou, Le France, paroles de Pierre Delanoe
  • (9) Alain Chamfort, L’amour en France, paroles de A.Chamfort

Hors du temps au musée Grévin

Par Mylène Vignon

Beaucoup plus qu’une simple visite, c’est une véritable immersion dans la magie de l’histoire et de l’illusion. D’abord, nous sommes accueillis dans le Palais des mirages, où les éléphants se transforment en déesses par des jeux de lumières et de miroirs. Une délicieuse sensation de vertige nous prépare à appréhender la rencontre avec 200 personnages, historiques ou contemporains, auxquels se mêlent parfois au détour d’un coin sombre, un comédienvivant.

Texte intégral

Chronique Numéro 29 – Alain Pusel

A chacun son Age d’or

Cela commence par une carte-postalisation de Paris. Une suite de clichés, dans les deux sens du terme, de Paris, ensoleillé, rutilant, de la Ville dans la nuit, belle et mystérieuse, de la Capitale sous la pluie, joyeuse et poétique. On se dit… Ainsi se succèdent les premières images de Minuit à Paris, un film de Woody Allen. (1) Les protagonistes se dessinent rapidement : Gil Pender, scénariste américain en quête de littérature et sa fiancée, que tout oppose : il est amoureux de Paris, elle supporte à peine la ville, il est démocrate, elle est la fille d’un couple vissé aux idéaux de la frange extrême du parti Républicain, qui ne voit le monde qu’à travers l’aune de combien est -ce que cela coûte, et de combien est-ce que cela rapporte. Il faudra attendre la quasi-fin du film pour qu’enfin Pender (incarné par Owen Wilson, qui mimétise Woody Allen acteur, mais parce que touchant reste supportable) décide de la quitter, autant elle que ses futurs-ex-beaux-parents, pour vivre sa vie, et sa vie est à Paris. Grâce à un doux sortilège, Gil Pender qui idolâtre la période parisienne des années 1920, avec sa fête et sa créativité, notamment de la part des écrivains américains, est, durant plusieurs nuits, conduit à bord d’un mystérieux taxi, dans un voyage à travers le temps. Il bascule pendant plusieurs nuits du Paris de 2010 à celui de 1920 et se retrouve à deviser avec Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald et cætera. Certains artistes sont mieux croqués que d’autres (les peintres dont Picasso sont plutôt ratés) mais le charme opère. Pender est en plein rêve – qui est devenu pour quelques nuits une vérité parallèle et même si la carte-postalisation de Paris… des années 1920 est bien présente, elle-aussi,le spectateur peut jubiler. La question est posée : nous avons chacun dans notre cœur, un pays, une période, un Age d’Or à l’intérieur duquel nous aurions aimé vivre. L’impression est vivace, plus à un certain âge : soit plus jeunes lorsque nous nous sentons inadaptés à notre époque ; soit plus âgés : lorsque nous ne nous reconnaissons plus dans celle qui vient. En recherche de meilleurs repères, en panique face aux nouveaux paradigmes… C’était mieux, vraiment avant, surtout lorsque nous n’y étions pas ! C’était mieux, avant, parce que nous croyons que nous y aurions une meilleure prise : sur le réel sociétal et sur la forme de notre existence singulière. Quelle incroyable somme de chimères et d’illusions… Je m’avance : je ne me suis jamais remis de ne pas avoir connu le T.N.P. de Jean Vilar et de ne pas avoir pu découvrir Gérard Philippe (avec un seul « p ») incarner « Le Prince de Hombourg » (2) dans la cour d’honneur du Palais des Papes à l’été 1951… Est-ce une préciosité ? Toute forme de coquetterie est à écarter. Pour d’autres, cette forme de regret aura pour contenu tel concert de Jacques Brel, telle exposition de Picasso, telle lecture de Charles Baudelaire… Quand on a goûté l’écume avec toute sa curiosité ardente et juvénile, on rêve de remonter jusqu’à la naissance de la vague…La vie d’un cœur ressemble à un Hokusaï. Plus ample et plus subtil que le personnage de Gil Pender sur le chemin à rebours de l’Age d’Or est celui de la linguiste Louise Banks dans le film Premier contact de Denis Villeneuve (3) : puisque celle-ci en s’initiant à la langue des visiteurs (les Heptapodes) de l’espace apprendra à courber le temps ; c’est-à-dire que l’apprentissage de cette langue non-linéaire lui donnera accès à des visions (futur) qu’elle pourra convoquer au présent pour agir et qui appartiennent aussi au passé. Le rêve d’un Age d’Or dans cette fable de science-fiction devient la possibilité de dépasser les frontières temporelles en apprenant et pratiquant une langue qui se situe simultanément en ces trois pôles du temps. On peut donc devenir nostalgique d’une époque qui aura lieu mais dont on goûte déjà, en avance cette fois, de l’écume, et cette saveur salée est une sapience du passé. Le sel laissé par la vague. Nous sommes, nous serons comme nous l’avons déjà été, inconsolables. Nul besoin chères toutes et chers tous, d’évoquer les cas de Gil Pender et de Louise Banks pour que vous en soyez bientôt persuadés. Vous l’étiez déjà. Toute vie se conjugue avec ses peines. Incroyable : il y a parfois des moments de joie.    
  • (1) Minuit à Paris. Sortie en France en 2011. Scénario et réalisation : Woody Allen. Avec Owen Wilson, Rachel MacAdams, Marion Cotillard.

  • (2) Le Prince de Hombourg, théâtre, de Heinrich von Kleist, paru en 1821

  • (3) Premier contact. Sortie en France en 2016. Scénario : Eric Heisserer. Réalisation : Denis Villeneuve. Avec Amy Adams, Jeremy Renner, Forest Whitaker.

Chronique n° 10 d’Alain Pusel

L’Eau et le Feu

Tout comme les sgraffites qui révèlent peut-être, tout le long des façades, les rêves des habitants de Prague ; ceux de Kafka (1883 – 1924) sont, toujours, inscrits, grattés, marqués au cœur de sa chair et de son esprit saisi de migraine, épris de mauvaises fièvres.   Texte intégral

Matthias et Maxime

Par Pascal Aubier

Réalisé par Xavier Dolan avec Gabriel D'Almeida Freitas, Xavier Dolan. 

Nous avions vu un film de ce Xavier Dolant, Mommy, qui nous avait bien plu et du coup comme disent les gens résolument modernes, nous somme allés voir Juste le Fin du Monde qui était très bien aussi selon nous et selon la plupart des gens aux goûts croisant les nôtres. Aussi dimanche nous allâmes voir, pleins d ‘espoir, Matthias et Maxime quelque part à Montparnasse.
Grand mal nous en prit. Texte intégral